L'Afrique de l'Est et le Sahel sous les inondations
Après plusieurs mois de saison sèche où les températures frôlaient régulièrement les 50 °C, le Soudan attendait les pluies de mousson, fin juin, comme une délivrance. Cet espoir a été exaucé jusqu'au cauchemar. Trois mois plus tard, les vagues de pluies torrentielles n'ont pas cessé. Elles affectent déjà entre 500 000 et 625 000 personnes dans le pays, selon les Nations unies, et au lieu de s'interrompre fin septembre, comme de coutume, elles devraient se poursuivre pendant deux autres mois, accentuant les destructions.
Le Soudan n'est pas le seul à être noyé par les eaux. Des pluies diluviennes arrosent une bande qui court sur une longue transversale en Afrique, de l'océan Indien à l'Atlantique. Vingt-deux pays sont maintenant frappés, du Kenya au Sénégal, et plus d'un million et demi de personnes seraient touchées par les plus grandes inondations ayant frappé le continent depuis trente ans. Au moins 300 personnes ont été tuées.
Chacun de ces pays a connu des drames. Dans le nord de l'Ouganda, affecté par deux décennies de guerre civile, 400 000 personnes ont un besoin urgent d'aide humanitaire. Mardi 25 septembre, il a fallu employer des hélicoptères pour évacuer 100 malades d'un hôpital qui allait être noyé sous les eaux et dont les murs commençaient à s'effondrer. Partout, une catastrophe humanitaire menace, alors que les infrastructures sont durement touchées, que les inondations ravagent des cultures, et que l'aide est difficile, voire impossible à acheminer.
La catastrophe touche au même moment des régions dont les climats sont généralement régis pas des processus différents. Du Sénégal jusqu'au Tchad, les pays sahéliens au climat sec en moyenne reçoivent habituellement les pluies de mousson de juin à septembre. En Afrique de l'Est, les précipitations dépendent plus des températures de surface de l'océan Indien et de la grande forêt équatoriale du Congo.
Pour expliquer l'anomalie actuelle, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) incrimine pour une bonne part La Niña. Ce phénomène climatique cyclique est l'inverse d'El Niño - lequel se traduit par le déplacement d'une énorme masse d'eau chaude vers l'est du Pacifique. La Niña désigne au contraire l'accumulation de cette masse du côté de l'Indonésie. El Niño et La Niña fluctuent en fonction des températures de surface de la mer et de la puissance et de l'orientation des alizés sur le Pacifique équatorial. La NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) américaine annonce que La Niña est bien installée et devrait durer jusqu'en novembre.
Serge Janicot, climatologue et directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) a bien relevé "une hausse des précipitations en Afrique de l'Ouest avec La Niña, et l'inverse avec El Niño." Le spécialiste relève que "le lien entre les deux bassins océaniques se fait au moyen d'une réorganisation de la circulation atmosphérique dans la bande équatoriale."
Ce n'est pas le seul facteur en cause. "On constate depuis dix ans une hausse de la température de l'Atlantique tropical nord, qui favorise l'augmentation des pluies dans cette région de l'Afrique", remarque-t-il également.
Le phénomène est d'autant plus étendu qu'à cette hausse des températures de l'Atlantique s'ajoute celle de l'est de la Méditerranée, qui a également un effet sur les précipitations. Les facteurs qui sont à l'origine de ces pluies ne sont pas encore tous connus avec précision.
Mais cette situation traduit une rupture avec la longue période de sécheresse qui a frappé la bande sahélienne entre 1970 et 1995. Thierry Lebel, directeur du Laboratoire d'étude des transferts en hydrologie et environnement, à Grenoble, constate que ce "changement de régime", entamé à la fin des années 1990, a vu s'instaurer une fréquence des précipitations "plus proche des années pluvieuses de la décennie 1950-1960", même si ce régime demeure "globalement déficitaire". Peut-on impliquer le réchauffement climatique dans cette situation ? Serge Janicot ne distingue encore aucune "réponse cohérente des modèles climatiques" pour l'Afrique de l'Ouest.
Christiane Galus et Jean-Philippe Rémy (à Nairobi)
Article paru dans l'édition du 27.09.07