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Les îles Kiribati, archipel en sursis ?

Mise à jour le 23/02/2019
Par Nathalie Pajon-Perrault
Cet archipel cristallise les inquiétudes en raison de l’étroitesse des îles coralliennes (200 m à 1 000 m de large) et de leur faible altitude (2 à 3 m).

L'archipel des îles Kiribati est situé au milieu de l'Océan Pacifique. C'est un état indépendant composé de l’île isolée de Banaba et de trois archipels comptant au total 32 atolls. Au sein d’une zone économique exclusive de 3,5 millions km², le pays totalise 726 km² de terres émergées éparpillées de part et d’autre de l’équateur. Seuls l’archipel des Gilbert et l’île de Banaba sont habités depuis plusieurs siècles.

Cet archipel cristallise les inquiétudes en raison de l’étroitesse des îles coralliennes (200 m à 1 000 m de large) et de leur faible altitude (2 à 3 m).

Avec plus ou moins de précision, les experts climatiques prévoient pour Kiribati un réchauffement des températures de surface, un accroissement des précipitations, une acidification des océans et une élévation du niveau de la mer.

Source : Géoconfluences

Conditions démographiques et conséquences

Ces îles comptent environ 110 000 habitants pour une superficie de 726 km² de terres émergées, ce qui les place comme le 183ème plus petit état sur 221. Les dernières décennies sont caractérisées par une explosion démographique. La population est passée de 38 000 habitants en 1963 à 103 000 habitants en 2010 (+ 171 %), la croissance se concentrant essentiellement dans la région urbaine de Tarawa sud. Les densités de populations dans certaines îles de Tarawa sud dépassent 13.000 hab/km². La forte pression démographique qui s'exerce donc sur ce territoire est à l'origine de trois processus principaux : 

  • le remblaiement des plages et du platier récifal par les migrants issus des atolls ruraux, qui sont confrontés à la pénurie foncière ;
  • de fortes dégradations environnementales (défrichement, extraction, pollution, etc.), qui perturbent le fonctionnement des côtes et ont affaibli les écosystèmes (mangrove, écosystème récifal) ;
  • l'urbanisation de zones basses et instables, telles les plages en accrétion et les cordons sableux barrant les lagunes.

► La combinaison des perturbations d'origine anthropique et des niveaux marins extrêmes associés à El Niño ou à l'impact de houles distantes engendrent, dans un contexte d'élévation rapide du niveau marin (+ 2,5 mm), des submersions dévastatrices.

- Densité de population dans le secteur d'Eita-Bangantebure (Tarawa sud) -

Source : L'archipel de Kiribati entre développement non durable et changement climatique

Conditions climatiques et consequences

Bien qu’ils se trouvent en dehors de l’aire de génération des cyclones, l'archipel des Kiribati est exposé à des houles qui, en l’absence d’obstacle, se propagent à travers l’océan sur de grandes distances. Les houles de tempête ont trois effets :

  • L’érosion ou l’accrétion, selon l’exposition des côtes;
  • La submersion des espaces terrestres;
  • La salinisation des sols et des lentilles d’eau saumâtre.

Le phénomène ENSO, dont le temps de retour est compris entre 5 et 9 ans, s’accompagne d’une inversion des vents, donc des houles et des courants associés, qui basculent d’Est en Ouest. Dans l’atoll de Tarawa, les modifications sédimentaires dues à l’inversion du courant de dérive littorale engendrent alors des pics d’érosion dans certains secteurs. Concomitamment, se produisent des variations de pression atmosphérique qui font fluctuer le niveau de la mer de plusieurs dizaines de cm aux Kiribati. Les niveaux anormalement hauts observés en début d’ENSO (+ 28 cm en 1982 et + 27 cm en 1991) produisent des submersions exceptionnelles. Des tempêtes se produisent également pendant ces épisodes, comme celle de décembre 1992 à Tarawa. On observe par ailleurs une perturbation du régime des pluies avec des pics de précipitations en début d’ENSO et des sécheresses marquées qui peuvent durer plusieurs années pendant La Niña, comme dans le centre et le sud des Kiribati.

 

Contexte géologique

Les atolls coralliens tels que Tarawa sont constitués de dépôts de récifs carbonatés (calcaires) situés sur un cône volcanique sous-jacent. La forme d'atoll résulte de la croissance du récif autour des limites du bouchon de carbonate, produisant un bord de récif avec des îles de récif entourant un lagon central.
Le "noyau" volcanique s'érode et s'affaiblit sur de longs intervalles de temps (de l'ordre de 105 à 106 ans).
L’effet de cet affaissement est une élévation du niveau effectif de la mer par rapport à la structure du récif local.

Bien que l’activité volcanique ait cessé depuis longtemps et que la profondeur de la roche volcanique à Tarawa soit inconnu, l'atoll est clairement fondé sur un cône volcanique s'élevant à environ 4000 m des fonds océaniques. Les formations, essentiellement de l’Holocène, ont jusqu’à 17 m d’épaisseur et sont constitués de sable de carbonate et de graviers de corail cimenté (conglomérat) et corail in situ.
Les âges de radiocarbone sur les coraux obtenus dans plusieurs forages suggèrent des taux d’accrétion verticale de 5 à 8 m /1.000 ans. On ignore si ces taux peuvent être soutenus face à une future élévation du niveau de la mer qui pourrait résulter du réchauffement climatique,  compte tenu du degré de pollution et de l'épuisement général de l'écosystème récifal observé.

Faites de sable et de débirs de corail, exposées aux agents marins, les sols sont pauvres et les ressources végétales peu diversifiées. L'eau y est rare, la plupart du temps saumâtre (2 à 3 g de sel par litre). Elle provient des précipitations qui s'infiltrent pour constituer des lentille souterraine peu profonde.

Sur ces îles, les matériaux de construction se limitent au bois (principalement des espèces cultivées de cocotiers) ainsi qu’au sable et au corail dont l’exploitation sur l’avant-côte a de forts impacts sur l’équilibre sédimentaire du littoral et sur l’état de santé des récifs coralliens.

Etat des lieux

On a donc vu que les conditions démographiques, climatiques et géologiques qui caractérisent Kiribati rendent cet archipel particulièrement vulnérable et l'état des lieux est préoccupant.

♦ Le changement climatique, un amplificateur des pressions actuelles :

L'augmentation de la concentration en GES dans l'atmosphère va avoir 3 conséquences principales :

• une élévation du niveau de la mer : des mesures réalisées à l'échelle de l'océan Pacifique indiquent une hausse comprise entre 2,5 et 5,5 mm/an depuis 1950 avant une accélération sur la période récente. Toutefois, nombre de scientifiques envisagent désormais une élévation qui pourrait être supérieure à 1 m d'ci 2100. Il faut donc s'attendre à une submersion définitve des zones les plus basses des Kiribati, à des submersions temporaires plus fréquentes, à la salinisation des sols, à la dégradation de la végétation terrestre. Il est attendu également une diminution de surface de certaines îles avec, toutefois, l'agrandissement de certaines autres sous l'effet d'apports de matériaux par les vagues et d'actions humaines (remblaiement de platiers, par exemple).

• l'augmentation de la température des eaux océaniques de surface : lorsque le seuil de tolérance des coraux (environ 30°C) est dépassé, ces coraux expulsent les zooxanthelles et blanchissent. L'augmentation de la fréquence des épisodes de blanchissement fait donc redouter la mort définitve des coraux dans cette région.

• une augmentation de la teneur des eaux océaniques en CO2 dissous : ce phénomène d'acidification des océans engendre une chute de calcification chez de nombreux organismes à squelette calcaires (donc, les coraux) qui sont fragilisés. Les spécialistes estiment que ces conséquences deviendront ingérables au-dessus d'une concentration en CO2 atmosphérique de 500 ppm. A ce titre, il faut noter que le seuil de concentration en CO2 atmosphérique de 400 ppm a été franchi en mai 2013 dans la station de mesure de l'observatoire Mauna Loa (Hawaï), il était, par exemple, de 386 en 2009.

Parce que les coraux contribuent, par la production sédimentaire qu'ils assurent, à alimenter les îles en sabel et en corail, leur dégradation fait redouter une augmentation de l'érosion côtière, sans compter les conséquences sur les ressources halieutiques.

Les effets conjugués de la pression démographique du niveau de la mer : l'exemple du village d'Eita-Bangantebure.

Le village d'Eita-Bangatebure (sur l'atoll principal de Karawa) est actuellement établi sur une flèche sableuse récente déstabilisée par les aménagements. À la fin des années 1960, ce village n'existait pas, les 6100 habitants de l'actuel district urbain de Tarawa Sud se concentrant encore dans les plus grandes îles. La flèche sableuse, occupée par une végétation dense, était alors en extension, isolant la vasière à mangrove du lagon. Au sud de la lagune, la zone la plus stable était occupée par une cocoteraie exploitée.

En l'espace de quatre décennies, sous l'effet de la pression démographique, l'ensemble de ce secteur a été urbanisé et la flèche sableuse aménagée. Le remblayage de la lagune, qui a détruit la mangrove, a été réalisé à partir de matériaux extraits sur la flèche, les plages et le platier récifal. En parallèle, l'aménagement de cette flèche sableuse a imposé aux habitants de se protéger de la submersion et de contrôler sa mobilité sédimentaire, ce qu'ils ont essayé de faire en construisant des ouvrages de protection qui l'ont progressivement déstabilisée. Alors qu'entre 1943 et 1969, cette flèche avait progradé sous l'effet d'un transit côtier positif, dans les années 1980 elle a commencé à être affectée par l'érosion à cause des perturbations anthropiques. Cela a engendré d'abord son amincissement (perte de 1,4 ha entre 1969 et 2007), puis l'ouverture de deux brèches dans ses parties les plus étroites en 2009. Or, l'habitat s'est entre-temps étendu jusqu'à la mer côté lagon et côté lagune, y compris sur des remblais artisanaux présentant des altitudes très faibles (< 1 m, voire 0,50 m). Dans ces circonstances, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une partie de ces zones habitées soit régulièrement submergée. L'élévation du niveau de la mer (+ 2,5 mm/an) constitue un facteur aggravant important de la submersion, et l'on doit s'attendre à devoir déplacer la population dans les décennies à venir.

Les relevés effectués dans cette région ont permis de réaliser une catographie de l'exposition du bâti aux risques d'érosion et de submersion (figure ci-dessous). ils permettent d'estimer que 13 à 17 % des bâtiments de Bairiki et Eita-Bangantebure sont exposés à la submersion marine et/ou à l'érosion côtière.

Source : Des archipels en péril ? Les Maldives et les Kiribati face au changement climatique.

Source : Des archipels en péril ? Les Maldives et les Kiribati face au changement climatique.

- Une route inondée Tebikenikoora, petit village autrefois entouré d'arbres - (wired.co.uk)

- Sur la commune deTemaiku, l'un des villages le plus menacé de l'île. La maison est un Kiaki, un petit bâtiment traditionnel qui est facilement déconstruit si elle doit être déplacé.(wired.co.uk)

La région de Bonriki-Temwaiku en 2016

Source : Google Earth

La région de Bonriki-Temwaiku en 2100

(Simulation d'une élévation du niveau marin selon le scénario "fort" du GIEC")

Source : http://www.climate.gov.ki

   

La salinisation des ressources en eau et des sols.

Avec la montée des eaux océaniques conjuguée à des submersions plus fréquentes, on observe à la fois une salinisation des ressources en eau douce (déjà d'un volume très faible) et une salinisation des sols.

On observe donc une raréfaction des ressources en eau potable. L'approvisionnement en eau à Kiribati est désormais en deçà de la norme recommandée par l'OMS de 50 litres par personne et par jour.

D'autre part, la salinisation des sols compromet fortement l'agriculture, source de l'alimentation de base. Les arbres côtiers disparaissent, les arbres fruitiers et notamment l’arbre à pain, les cocotiers, pourtant indispensables à l’alimentation des habitants meurent.

Le gouvernement de la République de Kiribati a dû acheter 2000 hectares de terres agricoles aux îles Fidji pour avoir un approvisionnement en nourriture et pour éventuellement accueillir des habitants de la république.

 

zone de l'atoll d'Abaiang où les sols sont devenus de plus en plus érodés et salinisés par l’inondation régulière lors de grandes marées, causant la mort des cocotiers.

 

Mesures de protection

• Naturellement, une zone basse peut être protégée de la submersion marine par un alignement de crêtes de débris coralliens qui font barrage aux vagues. Cependant, il faut alors considérer l'évolution possible de telles structures : soit ces crêtes vont s'éroder (ce qui va accroître l'exposition de ces zones), soit, au contraire, elles vont continuer à se développer ce qui maintiendra la protection.

• De plus, des ouvrages de défense artificiels peuvent être mis en place : murs de protection, protections végétales, etc.

- Cordons de tétrapodes qui protègent le port de Betio (Tarawa sud, Kiribati) - Cliché V. Duvat

- Protection de l'habitat dans les quartiers pauvres de Betio (Tarawa sud, Kiribati) - Cliché V. Duvat

- Mur construit sur la côte de Maneaba (sacs remplis de béton) -

Source : www.wired.co.uk

- Construction d'une digue sur une des îles -

Source : Le Point.fr

Ces ouvrages peuvent avoir des effts protecteurs s'ils sont bien conçus mais aussi déstabilisateurs s'ils sont mal placés et mal calibrés.

En effet, les chercheurs rappellent  que les sédiments doivent pouvoir se déposer naturellement sans obstacles. “Or, les îles qui ont le plus de problème d'érosion sont celles où le transfert des matériaux de la mer vers la terre est bloqué par des digues, des aménagements en béton, des maisons”, (Virginie Duvat)

Une digue qui empêche la recharge en sédiments  (V.Duvat)

Les autorités insulaires

Face à la menace croissante qui pèse sur l'archipel, les projets les plus fous ont été imaginés, d'autres sont en cours de réalisation :

La construction d'îles flottantes géantes qui pourraient accueillir jusqu'à 30.000 personnes. Des ingénieurs japonais sont chargés de l'étude mais le coût semble d'ores et déjà exorbitant

La construction de digues et la "récupération de terres" sur la mer : des experts des Pays-Bas, des Emirats arabes unis et de Corée du sud sont consultés. Cependant, le coût de tels aménagements reste excessif pour les Kiribati, sans aide extérieure.

• Reste enfin, "La migration dans la dignité", c'est le terme employé par le Président Anote Tong qui écrit en parlant de ses compatriotes : "Il faut qu’ils soient « préparés, éduqués, qualifiés selon les critères internationaux pour qu’ils puissent entamer dès maintenant leur processus de déplacement, par choix » et ne pas y être contraints « au dernier moment ». Ces déplacements de population pourraient se faire vers les Fidji ou le Timor oriental.

L'achat de terres : face à la perte de surface agricole et à la salinisation des sols, les Kiribati ne sont plus en mesure d'assurer une production alimentaire minimale. Le président Tong, a signé le dernier chèque finalisant l'achat de 20 km2 sur Vanua Levu, une île de l'archipel des Fidji, à quelque 2 000 km de là. (voir article du Monde du 14.06.2014). Couverte pour l'essentiel de forêts luxuriantes, l'étendue a été cédée par l'Eglise anglicane pour la somme de 9,3 millions de dollars australiens (6,4 millions d'euros).

Un site officiel dédié aux conséquences du changement climatique

 

Bibliographie :

  Les atolls, des territoires menacés par le changement climatique global ?

• Office of the president Republic of Kiribati : http://www.climate.gov.ki/category/effects/coastal-erosion/

Annales de Géographie 2015/5 n°705

• A. Magnan, V. Duvat, F. Pouget : "L'archipel de Kiribati entre développement non durable et changement climatique : quelles recherches pour quelle adaptation"