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interview de JF Piquot sur le CDH

Mise à jour le 25/03/2008
Par laforge
JF Piquot, militant écologiste, a publié un livre sur les dysfonctionnements du comité départemental d'hygiène d'Ille et Vilaine, instance chargée d'examiner les dossiers d'installations classées, dont il était membre en 2000 et 2001.

Jean-François Piquot Enquêteur en eaux troubles

 

Jean-François Piquot a été assigné le 5 novembre dernier par la chambre d’agriculture de Rennes pour " propos injurieux " et " atteinte à l’image et à la réputation ". Son crime ? Avoir enquêté pendant deux ans sur les méthodes du comité départemental d’hygiène (CDH) d’Ille-et-Vilaine. En découle un livre, 24 mois de fonctionnement du CDH d’Ille-et-Vilaine, tiré à 600 exemplaires, où il dénonce les autorisations abusives de création, extension et régulations d’exploitation agricoles en dépit des sommes colossales engagées pour la reconquête de l’eau. Une gabegie encore dénoncée cette semaine par un rapport de la Cour des comptes. Il y a peu, la chambre d’agriculture était déboutée par le tribunal de grande instance. Une victoire pour celui qui reste ardent défenseur de l’environnement.

" Je suis un intellectuel parisien tombé amoureux de la Bretagne et qui a choisi d’y vivre. Mon village se trouve au confluent des Côtes-d’Armor, du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine. Cette histoire débute le jour où une enquête publique a eu lieu dans ma commune pour une installation classée agricole - deux poulaillers - pas très loin de chez moi. L’idée m’est venue d’étudier la question. Ce que j’ai découvert était ahurissant. Il était mentionné : " Il s’agit d’un élevage de quatre-vingt taurillons non conformes et non déclarés mais si les poulaillers sont accordés à l’éleveur, il abandonnera peu à peu ses taurillons. " Je me suis dit, le commissaire enquêteur va réagir. Mais non. J’ai alors pensé à l’autorité préfectorale. Là encore, rien. Le dossier est passé sans problème et le poulailler a été autorisé. J’ai fait un contre-rapport de 25 pages que j’ai présenté à l’association Eau et rivière de Bretagne. Entre-temps, une petite association du coin - le Comité de défense des quatre cantons - m’a demandé d’être leur président. J’ai accepté et j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour enquêter.

" En un an et demi, sur quatre cantons, j’ai étudié dix-huit enquêtes publiques et j’étais convaincu qu’au moins trois dossiers ne pourraient pas être autorisés. L’un concernait une régularisation d’extension d’une porcherie située à 150 mètres d’une réserve d’eau potable de Rennes. Treize associations avaient déposé défavorablement. La ville de Rennes elle-même avait donné un avis négatif extrêmement motivé. L’autre cas concernait aussi une régularisation d’extension de porcherie où tous les services de l’État avaient donné des avis défavorables. Enfin, pour le troisième cas, il s’agissait d’une création de porcherie en bordure de vestiges archéologiques : la plus grande villa gallo-romaine d’Ille-et-Vilaine. Le préfet allait dire non. Le comité départemental d’hygiène (CDH) aussi, c’était évident. Ils ont répondu favorablement aux trois dossiers ! J’en ai parlé à Eau et rivière de Bretagne : " Mon pauvre, on voit bien que tu n’es pas Breton et que tu ne connais pas le problème, m’ont-ils dit. Ici, tout passe. "

" Alors, j’ai décidé d’écrire un livre. D’aller là où personne n’avait jamais vraiment été. Observer ce qui se passait au CDH. J’ai vu que les choses étaient beaucoup plus illégales et irrégulières que ce que je pouvais imaginer. Ma première surprise a été de constater qu’en deux ans, dix-huit dossiers avaient été jugés défavorables sur quatre cents. Tout ne passait donc pas. Mais en y regardant de plus près, je me suis aperçu que ces dix-huit avis défavorables n’étaient pas suivis d’un arrêté préfectoral et que les dossiers étaient représentés six mois ou un an après. On repassait au CDH le plat déjà servi. Ce qui est totalement hors la loi. Avec mes tout petits moyens, j’ai découvert des régularisations pour 100 %, 200 % voire 320 % de dépassement du cheptel autorisé. Aussi, je me suis rendu compte que des installations qui devaient normalement être à 100 mètres d’un tiers étaient en fait à 60 mètres, mais la régularisation était quand même accordée. Essayez de faire construire votre maison à 40 mètres de l’endroit où vous avez donné votre plan à la DDE. je vous promets que vous aurez des problèmes.

" J’ai pris ces quatre cents dossiers, je les ai mis en fiches et j’ai montré tous les dysfonctionnements de l’État. J’ai travaillé sur des documents publics, qui donnent le nom de l’éleveur, son adresse et sa raison sociale. Mais je n’ai indiqué aucun nom, aucun lieu. Mon propos n’était pas de montrer du doigt les éleveurs, même lorsque leur dossier était pis que pendre. J’ai donné le numéro administratif du dossier, qui n’est connu que de l’administration. Ce qui lui permettait de vérifier la pertinence de mes propos. J’ai voulu montrer les incohérences de l’administration, qui d’un côté dit vouloir reconquérir la qualité de d’eau et de l’autre accepte des dossiers dangereux pour l’environnement.

" Je pose la question du pourquoi. Qui profite de ce système ? Sûrement bon nombre de lobbies. Plus les installations seront importantes et plus il y aura de production. Ce type de situation découle du discours de certains syndicats agricoles, comme la FNSEA, qui vont d’un seul élan vers l’agriculture productiviste. · de nombreuses reprises, j’ai constaté ce qu’on pouvait appeler la prime à la fraude. Et comme je suis un citoyen convaincu que les politiques ne sont ni des pourris ni des vendus, mais que bien souvent ils sont mal informés, j’ai voulu - avant la publication de mon manuscrit - l’adresser au ministère de l’Environnement. Avec beaucoup de mal, il est venu aux mains de Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement. Avec Jean Glavany, ministre de l’Agriculture, elle a nommé une mission d’inspection du CDH d’Ille-et-Vilaine. Cette mission n’a pas été tendre pour le CDH, loin de là.

" · un mois de la publication de mon ouvrage, Eau et rivière a connu des difficultés et le représentant des associations de l’environnement qui siégeait au CDH a quitté Rennes et ses fonctions. On a pensé que j’étais le mieux placé pour le remplacer. Lorsque mon livre est sorti, certaines séances du CDH n’ont pas manqué de piquant ! Parallèlement, le nouveau préfet a nommé une cellule de réflexion pour étudier le fonctionnement du CDH et j’en ai fait partie. Aujourd’hui, enfin, un tiers des dossiers connaît des arrêtés de non-autorisation. Dominique Voynet a avoué que mon ouvrage avait eu l’effet d’une bombe pour les services de l’État mais qu’ils avaient su réagir et se réformer. Ce qui est vrai. Je n’ai pas toujours la même vision de l’avenir de l’agriculture en Bretagne que celle du préfet, mais je lui donne acte qu’il a réformé le CDH d’Ille-et-Vilaine.

" Le 5 novembre dernier, la chambre d’agriculture de Rennes m’a assigné pour " propos injurieux " et " atteinte à l’image ". Je n’avais pas la sensation d’être si puissant ! Mon avocat a fait remarquer qu’on m’attaquait dans une période préélectorale pour les chambres d’agriculture. · travers la chambre d’agriculture de Rennes, c’est la FNSEA qui veut m’atteindre. La chambre d’agriculture a été déboutée, condamnée par le tribunal de grande instance à me verser le franc symbolique, ainsi qu’au Comité de défense des quatre cantons. Maintenant, je reste vigilant sur toutes ces questions. Quand on a mis le doigt dedans, on se fait vite happer. Les choses ont bougé en Ille-et-Vilaine mais traînent dans les autres départements bretons. Je me bats pour obtenir une cohérence dans les décisions des CDH. Avec Eau et rivière, je travaille sur les nouveaux arrêtés qui devraient être promulgués sur les zones d’excédents structurels.

" Aujourd’hui, j’habite toujours au même endroit. Je me sens bien dans ce monde rural. Dans le Comité de défense des quatre cantons, que j’anime, de nombreux agriculteurs sont à mes côtés. "

Propos recueillis par Nadège Dubessay L'humanité 23/02/2002