Le Système aquifère des grès nubiens

Mise à jour le 25/03/2008
Par Nathalie Pajon-Perrault

Le système aquifère des grès nubiens (ou NSAS = Nubian Sandstone Aquifer System) est une des plus grandes réserves d'eaux souterraines du monde : épais par endroits de 3.500 mètres, il couvre plus de 2 millions de km2, il représente une capacité totale de stockage d'environ 540.000 km3 d'eau douce souterraine emmagasinée. Il pourrait représenter une piscine grande comme l'Allemagne, profonde de plusieurs centaines de mètres et remplie d'une des eaux les plus pures du monde. Il est partagé entre l'Egypte, la Libye, le Soudan et le Tchad. En Libye, cette ressource fut découverte au milieu des années 50 à la faveur des recherches pétrolières dans le désert.

 Carte aquifère    Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Fig.1 : Carte générale de l'aquifère transfrontalier - (rapport UNESCO - IHP-VI 2006)

 

1. La structure des réserves

  Le NSAS peut être divisé en deux importants réservoirs (cf. figure 1) :

 - le Système Aquifère du Nubien (NAS), majoritairement formé de nappes libres, c'est le plus ancien et le plus grand. La capacité d'emmagasinement calculée est de plus de 520.000 km3  et le volume total d'eau douce souterraine emmagasinée atteint 373.000 km3.
 

- le Système des Aquifères PostNubiens (PNAS) qui inclut des parties situées au nord de la Libye et de l'Egypte. Le volume total d'eau emmagasinée dans ce PNAS se chiffre à 170.000 km3.

 Ces deux réservoirs sont séparés par des couches de faible perméabilité (Bakhbakhi, 2006).


Bloc diagramme - NAS   Cliquer sur l'image pour l'agrandir

(rapport UNESCO - IHP-VI 2006)

  De structure complexe, cet aquifère est fragmenté en plusieurs bassins mais fonctionne en fait comme un système unique s'écoulant vers le Nord-Est. Sa profondeur est en moyenne de 600 à 1.800 mètres. La série nubienne composant le remplissage du bassin est constituée d'argiles, de conglomérats, de sables et de grès d'âge Cambrien à Crétacé supérieur. L'épaisseur de cette série augmente du Sud (où elle affleure) au Nord où elle atteint 3.500 mètres sous le recouvrement sédimentaire du Tertiaire.

Carte géole

 

 

Colonne strati - NAS

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Sources : - Schematic geological map of the NSAS. Digitized from maps of CONOCO (1987) and USGS (2004)
               - Simplified sections for different locations within the NSAS. Adapted from Thorweihe and Heinl (2002)

  

► En Libye, l'eau présente au niveau des deux complexes (NAS et PNAS) est exploitée. Ces sytèmes sont libres dans la partie méridionale, captifs à semi-captifs au centre et franchement captif au nord, sous les recouvrements tertiaires.

  • Le complexe de la série nubienne couvre la majorité du bassin. Il est exploité dans la région d'El Khufrah (Libye).

 

 Schéma Kufrah

Coupe hydrogéologique schématique du bassin de Kufrah (Pallas, 1978)

1 : Socle

2 : Cambro-Ordovicien

3 : Silurien

4 : Dévonien inf.

5 : Dévonien sup.

6 : Carbonifère

7 : Grès continentaux mésozoïques

Schéma Kufrah
Coupe Murzurq
  •  Le complexe post-nubien, moins important, qui est exploité dans les régions de Siwa, Farfara et Qara.

 

 ► Le bassin d'Al Kufrah, l'un des lieux de pompage pour l'alimentation de la Grande Rivière Artificielle, couvre une superficie de 250.000 km² au sud-est de la Libye et au nord-est du Tchad. Il représente environ la moitié de la surface de la France. Sur le seul territoire libyen, on estime les réserves à 120 milliards de m3 d'eau.

De forme allongée, il est bien délimité par des affleurements paléozoïques de bordure sud. Le remplissage sédimentaire, d'une épaisseur totale de 3.000 mètres au centre du bassin est constitué essentiellement de grès continentaux du cambro-ordovicien au crétacé supérieur. 

L'écoulement s'effectue du sud (Tchad-Soudan) vers le nord de la Libye. Cet écoulement s'effectue avec un gradient hydraulique moyen de 0,3 %. Les valeurs calculées de la transmissivité sont de l'ordre de 2,9 à 3,5.10-3 m²/s et le coefficient d'emmagasinement estimé à 5.10-4.

 

2. L'alimentation de cet aquifère

 

  Dans cette région désertique, l'alimentation de l'aquifère par les eaux de pluie est négligeable, de l'ordre de 2,9 mm/an à Tazebo à 1,3 mm/an dans la région de Kufrah. Dans cette hypothèse, la quantité d'eau reçue ne doit pas excéder quelques millions de m3 annuellement.  

  L'alimentation du système est donc dérisoire en regard des immenses réserves. Ces réserves ont été accumulées pendant les périodes humides du pléistocène (Quaternaire inférieur : 1,8 MA à environ 10.000 ans) et durant la période pluviale plus récente (8.000 ans), comme semblent l'indiquer les datations au 14C.

  Ces nappes sont donc l'héritage liquide d'un climat disparu. Il y a plusieurs dizaines de milliers d'années, le désert du Sahara était une savane verdoyante, des forêts tropicales recouvraient les montagnes et, dans les plaines, les hommes du Néolithique moissonnaient une sorte de blé. Des pluies abondantes remplissaient les fleuves et les lacs. Elles s'infiltraient aussi sous la terre, saturant les couches de grès...

  Les exutoires naturels sont désormais les émergences au nord, dans les dépressions du bassin de Sirte et au nord-est dans le désert occidental égyptien.

 

3. L'exploitation de la nappe

 

 

Nubian System (NAS)

Aquifères paléozoïque et mésozoïque

Post-Nubian System (PNAS)

Aquifères miocène

 

  Extractions actuelles (km3/an)

 

Surface (km2)

Eau douce stockée (km3)

Surface (km2)

Eau douce stockée (km3)

Eau douce totale stockée (km3)

Total eaux exploitables (km3)

du système post-nubien (PNAS)

du système nubien (NAS)

Total

 Egypte

 815.670

 154.720

426.480 

97.490

252.210 

5.180 0,306

0,200 

 

0,506

 Libye

 754.088

 136.550

 494.040

 71.730

 208.280

5.920 0,264

 0,567

 0,831

 Tchad

 232.980

 47.810

 -

 -

 47.810

1.630 -

 0,000

0,000

 Soudan

 373.100

 33.880

 -

  -

33.880

2.610 -

 0,840(*)

 0,833

 TOTAL

 2.175.838

372.960

920.520

169.220

542.180

15.340

 0,570

1,607 

 2,170

(*) : La majorité des volumes sont extraits du bassin du Nil qui n'est pas considéré comme faisant partie du bassin nubien.

Source : CEDARE/IFAD - programme for the development of a Regional Strategy for the Utilisation of the Nubian Sandstone Aquifer System.

  Les ressources en eaux souterraines du système aquifère nubien ne sont pas exclusivement constituées d'eau douce : la qualité de l'eau, mesurée par son contenu total de solides dissous, passe d'une excellente qualité (500 ppm) dans la partie sud du système à saline, voire hypersaline, dans la partie nord (CEDARE, 2002). En éliminant cette eau hypersalée, le volume d'eau douce stockée est d'environ 540.000 km3.

La nappe superficielle libre est exploitée depuis très longtemps par des puits traditionnels dans le bassin.

  On estime que le rythme actuelle d'extraction est de 2.170 km3/an. Ainsi, 40 milliards de m3 d'eau auraient été prélevés au cours des 40 dernières années rien qu'en Egypte et en Libye (aucune donnée pour le Tchad et le Soudan). 

              

Graphe 1

Source : rapport UNESCO - IHP-VI 2006

  La plupart des prélèvements sont destinés à l'agriculture, pour de grands projets de développement en Libye et dans des exploitations privées, en Egypte, dans la vieille tradition des oasis. Il ressort des différentes études menées que le taux de prélèvement reste relativement faible au regard des disponibilités [0,01 % selon un rapport des Nations-Unies sur les aquifères transfrontaliers (2004), 0,1 % selon KHEDER, ministre de l'eau libyen]. Pourtant, ces prélèvements ont déjà causé un abaissement de la nappe phréatique qui peut atteindre 60 mètres par endroits.  

  Quoiqu'il en soit, 97 % des puits de surface et des sources ont déjà été remplacés par des puits profonds.

 

  La nappe profonde est exploitée par des forages à débits élevés : 40 à 80 L/sec, notamment pour alimenter la Grande Rivière Artificielle.

 

  Ces eaux de l'aquifère profond sont d'excellente qualité chimique. Par contre, la qualité des eaux du système aquifère postnubien peut varier considérablement, notamment au nord de la Libye et de l'Egypte où on constate l'intrusion d'eau salée (voir les flux d'eau salée représentés sur la coupe schématique du bassin de Kufrah). D'ailleurs, ce constat inquiète les spécialistes. En effet, si les niveaux piézométriques de la nappe continuent de baisser, ceci va amplifier le phénomène de salinisation de l'eau qui devra alors être traitée pour être éventuellement utilisée.

Risque salinisation 

Source : OSS - D.LATRECH - CIRESS  Ouargla - Déc.2005