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Les savanes menacées... Par l'extension des forêts

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Alors que l'ampleur et les conséquences de la déforestation sont bien connues à l'échelle globale, la perte rapide des milieux ouverts demeure dans l'ombre. Partout sur la planète, d'immenses étendues de prairies, de savanes, de toundra et d'écosystèmes alpins sont progressivement transformées en écosystèmes de broussailles et en forêts denses, menaçant la biodiversité et l'économie de subsistance de plusieurs millions de personnes.

savane chacoLes savanes du Chaco, au Paraguay, sont envahies par des arbustes des genres Prosopis et Acacia. Plusieurs espèces animales, comme le guanaco et le nandou d'Amérique, perdent ainsi leur habitat
© Miriane Demers-Lemay

Un phénomène rapide et étendu

Le phénomène a commencé à être observé il y a environ 150 ans. Toutefois, cette transformation peut être très rapide : des savanes de plusieurs régions du globe ont ainsi été remplacées en forêts sèches en moins de 40 ans. Aujourd'hui, des milieux ouverts sur presque tous les continents sont progressivement transformés en milieux boisés. En 2011, le Dr. Eldridge et ses associés estiment que plus du quart des savanes d'Afrique du Sud seraient colonisées par les arbustes. Du fait de sa grande ampleur et sa vitesse, le phénomène génère d'importants impacts écologiques et socioéconomiques à l'échelle du globe.

La transformation des milieux ouverts en écosystèmes forestiers constitue un véritable changement de biome, opinent les chercheurs William J. Bond et Catherine L. Parr dans un article scientifique paru en 2010. Cette transformation provoque des changements en cascade sur la faune et la flore. Les espèces animales et végétales associées aux milieux ouverts perdent leur habitat. De fait, la majorité des espèces d'oiseaux en déclin en Amérique du Nord sont associées aux milieux ouverts. La perte de ces habitats pourrait contribuer à l'érosion de la biodiversité à l'échelle globale.

À l'échelle du paysage, la perte des milieux ouverts uniformise la mosaïque végétale. Or, la diversité des écosystèmes dans le paysage est synonyme de résilience et de sécurité alimentaire pour les populations locales.

Enfin, les activités pastorales comme l'agriculture et l'élevage sont fortement affectées par le phénomène. La transformation des milieux ouverts réduit la production de fourrage pour le bétail et réduit considérablement la rentabilité de l'élevage. Or, ces activités sont la base de l'économie de la plupart des deux milliards de personnes habitant ces écosystèmes dans le monde. Une perte de productivité de ces activités pourrait ainsi menacer l'économie de subsistance et le mode de vie pastoral de près du quart de la population mondiale.

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Toutefois, le bilan n'est pas uniquement négatif. Le reboisement des milieux ouverts pourrait également apporter certains bénéfices écologiques, via l'accroissement de la capacité du puits de carbone global, et ainsi contribuer à l'atténuation des effets des changements climatiques.

Les activités anthropiques seraient responsables de la transformation des milieux ouverts

Le débat concernant l'importance des différents mécanismes à l'origine du phénomène est enflammé dans la communauté scientifique. Cependant, tous les experts s'accordent sur une chose : la transformation des milieux ouverts est originellement causée par les effets des activités anthropiques.

elevage extensifL'intensification de l'élevage extensif serait l'une des causes de la colonisation des milieux ouverts par les arbres et les arbustes partout sur la planète.
© Miriane Demers-Lemay

Parmi ces activités, on retrouve l'intensification de l'élevage bovin, la lutte contre les incendies et les changements climatiques. Ces activités auraient provoqué une modification des conditions atmosphériques et de la dynamique de ces écosystèmes, déstabilisant ainsi le fragile équilibre entre les espèces ligneuses et herbacées dans la compétition pour les ressources.

Le début de la transformation des milieux ouverts coïncide avec l'intensification de l'élevage bovin il y a près de 150 ans, selon plusieurs chercheurs américains, comme le Dr. Van Auken de l'Université du Texas. Le surpâturage peut avoir pour effet de diminuer le couvert des graminées, ce qui peut réduire la compétitivité des graminées et permettre l'établissement des arbres et des arbustes. Le bétail constitue également un excellent agent de dispersion des graines. Il transporte les graines des espèces ligneuses des zones boisées aux pâturages. De plus, plusieurs graines végétales germent plus facilement suite au passage dans leur système digestif et à l'évacuation dans leurs fèces.

De plus, avec l'intensification de l'agriculture, le feu a pratiquement été éliminé des écosystèmes terrestres. Or, la majorité des milieux ouverts nécessitent le feu pour maintenir une structure ouverte et limiter la croissance des arbres et des arbustes. Le feu a longtemps été considéré comme un élément destructeur et indésirable, ce qui motivait de grandes campagnes de lutte contre les incendies partout dans le monde. Comme les graminées constituent le principal combustible permettant la propagation du feu, le broutage de ces dernières a également contribué à l'élimination du feu dans ces écosystèmes.

Les changements climatiques pourraient aussi avoir un rôle à jouer dans la transformation des milieux ouverts. Les variations du taux de précipitations peuvent favoriser les espèces ligneuses dans la compétition avec les herbacées. L'augmentation de CO2 atmosphérique pourrait également favoriser l'expansion des forêts, principalement composées d'espèces adaptées à d'importantes concentrations de CO2, au détriment des milieux ouverts, dominés par des plantes adaptées à de faibles concentrations de CO2.

Enfin, l'augmentation du couvert arbustif dans les milieux ouverts peut déclencher plusieurs processus de rétroactions renforçant et accélérant les changements amorcés. En effet, l'établissement d'arbres et d'arbustes modifie les conditions environnementales locales. Ces plantes fournissent de l'ombre et enrichissent le sol en nutriments par la chute des feuilles, créant ainsi des îlots de fertilité favorisant l'implantation de leurs congénères. Cela provoque un accroissement graduel des superficies occupées par des îlots d'arbres et d'arbustes, jusqu'au point où ces derniers forment une canopée fermée.

S'adapter ou restaurer les milieux ouverts ?

Il a été vu que la transformation des milieux ouverts menace fortement l'économie de subsistance de millions de personnes dans le monde. Les populations humaines associées aux milieux ouverts peuvent-elles s'adapter aux nouveaux paysages créés par la colonisation ligneuse ? Pourraient-elles, par exemple, orienter leur économie vers des activités associées aux écosystèmes forestiers, comme la vente de bois ?

Les nouveaux écosystèmes ont une structure et une composition complètement différentes de celles des forêts. Il s'agit souvent de milieux denses et impénétrables de broussailles colonisés par une ou deux espèces ligneuses de qualité non commerciale. Le défi est grand, mais pas impossible. Par exemple, dans certaines régions d'Amérique latine, d'Inde et d'Afrique, la colonisation des savanes par des plantes du genre Prosopis a été suivie de mesures permettant de tirer profit des ressources produites par ces plantes, comme le bois de chauffage, le charbon de bois, les fruits et la farine provenant de ses gousses.

D'un autre côté, la restauration écologique permettrait de conserver ces riches écosystèmes. Plusieurs projets de restauration écologique ont déjà tenté de renverser la transformation des milieux ouverts, avec des techniques comme la coupe, l'utilisation d'herbicides, la réintroduction du feu ou la modification du broutage. Toutefois, les projets génèrent habituellement des effets à très court terme. Les espèces ligneuses colonisent de nouveau les aires restaurées après quelques années, dû à de puissants processus de rétroaction. La restauration a généralement un succès limité, tout en générant des dépenses exorbitantes.

Enfin, la transformation des milieux ouverts s'ajoute à la liste des indicateurs sonnant une cloche d'alarme sur les effets néfastes des activités anthropiques sur les écosystèmes. Pour contrer efficacement la transformation des milieux ouverts, des actions devraient d'abord être entreprises pour atténuer les effets liés aux activités anthropiques à l'origine du phénomène. Or, les effets des
changements climatiques se font sentir chaque année davantage. La superficie des terres utilisées pour l'élevage augmente avec la croissance continuelle des produits d'élevage à l'échelle mondiale.

Le reboisement des milieux ouverts est généré par des causes complexes et provoque des conséquences écologiques et socioéconomiques considérables. Les solutions ne sont pas simples. Comment gérer cette problématique écologique ? Le débat reste ouvert.


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Questions / réactions (8)


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DupondtIl y a 10 ans
@ Mirane Demers-lemay

Merci pour cette réponse.

- Bien entendu, un sur-pâturage (qu'il soit le fait d'herbivores domestique ou pas) est toujours dommageable. Car il ne subsiste pas grand chose et toute la flore est modifiée peu à peu.

Mais j'ai peine à croire que cela fasse progresser la forêt. A moins qu'il existe des espèces de ligneux inconsommables (cela existe) pour les herbivores (sauvages ou domestiques) présents. Surtout s'il y a un pression en raison d'un excès d'animaux.

Qu'en pensez-vous ?

- Il est évident aussi que remplacer toute une faune variée d'herbivores pour ne laisser qu'une espèce, qu'elle soit domestique ou non, modifie profondément la végétation.

Si on ne laisse que les girafes, ou que les gnous, la végétation va évoluer très différemment.

Il serait intéressant de savoir comment cela se passe avec les troupeaux des Peuls. Qui sont des troupeaux domestiques dans la savane.

Les peuls ont été récemment refoulés vers le sud, dans d'autres territoires, d'autres végétations.
Il y a là sûrement un champ d'études très intéressant à étudier.


Dans les pâturages anthropomorphisés comme les alpages en France, ou les prairies sèches, c'est le recul (voir la disparition) des animaux domestiques (moutons, vaches) qui bouleverse de manière très dommageable la végétation.

Bien entendu, dans ce cas aussi, un sur-pâturage seraient aussi dommageable.
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Yoann Lombard Yoann LombardIl y a 10 ans
C'est bien ce qu'il me semblait avoir compris. Merci de ces précisions.
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+1
Miriane Demers-LemayIl y a 10 ans
Pour répondre au commentaire précédent:
L'article se veut très général, puisqu'il s'agit d'un phénomène méconnu (contrairement à la déforestation, par exemple) ayant lieu dans une multitude d'écosystèmes ouverts. Sans que ce phénomène n'ait nécessairement lieu dans tous les milieux ouverts sur la planète, il a été répertorié dans une multitudes d'écosystèmes, que ce soit dans en Australie, en Afrique, en Europe et en Amérique. En Amérique du Sud par exemple, le phénomène a été reporté dans la pampa argentine et dans le Gran Chaco.
Les herbivores ne sont pas des ennemis des milieux ouverts, loin de là. D'ailleurs, les herbivores auraient co-évolué avec les prairies et savanes et permettraient le maintien de ces dernières. On peut penser par exemple aux grandes populations de gnous, gazelles et zèbres qui maintiennent les savanes africaines.
L'équilibre entre herbivores-milieux ouverts ne semble pas simple et unidirectionnel, mais plutôt dépendre du type d'herbivores et de la pression de broutage.
Par exemple, les effets du broutage des grands herbivores sauvages contre celui du surpâturage du bétail domestique semblent être différents sur les écosystèmes.
L'écologie n'est pas une science exacte, et elle fonctionne surtout avec des théories. Dans cet article, j'ai exposé les causes probables du phénomène discutées par les experts. Mais encore, la polémique concernant l'importance de chacune des facteurs causals subsiste (et semble, d'ailleurs, varier selon le type d'écosystème étudié et l'historique de cet écosystème).
J'espère avoir répondu à vos interrogations.
Miriane D-L
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+1
DupondtIl y a 10 ans
Cet article est étrange...

Peut etre qu'il englobe trop de pays, de situations différentes.

Sans herbivore, la forêt progresse. Avec beaucoup d'herbivore, elle régresse.

On peut concevoir qu'ils y aient des exceptions, dans un certain contexte. Mais il faudrait alors que l'auteur donne plus de précisions...
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+2
Bruno herblayIl y a 10 ans
Exact,

La disparition de la faune sauvage, la sur-représentation des brouteurs herbacés par rapport à ceux de ligneux, le déséquilibre des ecosystèmes, l'introduction d'espèces invasives expliquent probablement beaucoup de choses.
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