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La subduction – la plongée d'une plaque tectonique sous une autre – explique l'hétérogénéité chimique du manteau terrestre, c'est-à-dire de la couche de 2885 kilomètres d’épaisseur située sous la croûte. Depuis qu’ils ont réalisé cela, il y a plus de 30 ans, les géochimistes cherchent à en savoir plus. Morten Andersen, de l’Université de Bristol, et ses collègues ont mesuré les rapports isotopiques thorium/uranium et uranium 238/uranium 235 au sein de divers échantillon de manteau. Ce qu'ils ont découvert raconte une partie de l’histoire terrestre.
Les deux plus importantes familles d’éléments radioactifs dans le manteau terrestre sont en effet celles dérivant du thorium 232 (le thorium naturel) et des isotopes 238 et 235 de l'uranium. Comme ces éléments résistent bien à la fusion partielle des roches dans le manteau et qu'ils ont des affinités comparables pour les oxydes formant ces roches, leurs destins chimiques à l'intérieur de la Terre sont proches. En surface, en revanche, tandis que le thorium reste dans la roche, l’uranium s'oxyde au contact de l’air, et ses oxydes sont facilement érodés et transportés dans les océans par le ruissellement. Ce lessivage, qui a lieu à basse température, modifie le rapport isotopique uranium 235/uranium 238 en surface par rapport aux roches profondes. Ces destins contrastés font du thorium et de l’uranium des indicateurs précieux des phénomènes de transport à l’intérieur de notre planète ou à sa surface.
Les chercheurs mesuré les proportions d’uranium et de thorium par spectrométrie de masse au sein de divers échantillons de manteau et de chondrites. Les chondrites, des météorites dont la composition est proche de celle des roches terrestres, portent en effet la mémoire des proportions initiales de thorium et d'uranium dans la nébuleuse protoplanétaire dont est issue notre planète. Le rapport thorium/uranium de 3,84 mesuré dans les chondrites peut être pour cette raison considéré comme proche de la valeur moyenne sur Terre.
Le rapport isotopique thorium/uranium mesuré par les géophysiciens dans des basaltes issus des îles océaniques, est pour sa part de 3,48, une valeur légèrement plus faible que pour les chondrites. Il en est de même pour le rapport isotopique uranium 238/uranium 235. Or ces basaltes sont issus de remontées profondes de matériau du manteau – les « points chauds ». Les chercheurs en concluent que le manteau profond a été légèrement enrichi en uranium par des subductions anciennes.
La datation des roches impliquées montre que cet épisode d'enrichissement s'est produit il y a plus de 2,4 milliards d'années, donc à l'époque estimée de la « grande oxydation », c'est-à-dire de la multiplication soudaine des organismes photosynthétiques produisant de l’oxygène. Après l’apparition d’une atmosphère riche en oxygène, les oxydes d’uranium formés en surface ont été lessivés et transportés dans les océans, et y ont enrichi en uranium la croûte océanique, qui a ensuite été réintroduite dans le manteau par la subduction. Ainsi le léger enrichissement en uranium des basaltes d’origine profonde formant les îles océaniques témoigne de la mise en place de notre atmosphère oxygénée, il y a plus de 2,4 milliards d’années.
En comparaison, les basaltes issus de plaques océaniques actuelles (issus des dorsales océaniques) sont nettement plus riches en uranium puisque le rapport thorium/uranium n'y vaut que 2,44. Et le rapport isotopique uranium 238/uranium 235 y est nettement plus faible que dans les chondrites. Or ces basaltes sont « récents » puisqu'ils ne peuvent dater que du dernier cycle tectonique, soit de moins de 600 millions d’années. Selon les chercheurs, la mise en place il y a quelque 600 millions d’années de nos océans pleinement oxygénés a favorisé un enrichissement plus intense de la croûte océanique en uranium, de sorte que la subduction récente a fortement enrichi le manteau supérieur en uranium.
