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Décembre 2016. Nous sommes un groupe de six scientifiques – des Allemands, un Américain et des Français – partant en mission au Grand Canyon, dans le Colorado, puis dans les montagnes arides de la vallée de la Mort. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est dans cette région, parmi les plus chaudes de la Terre, que nous cherchons à percer les mystères d’une de ses périodes géologiques les plus froides, survenue il y a plus de 635 millions d’années. Cette période a probablement été si glaciale que, vue de l’espace, la Terre devait ressembler à une boule de neige géante. Nous ne sommes pas les seuls lancés sur la piste de la Terre boule de neige. Depuis une vingtaine d’années, elle est devenue un sujet majeur de recherche en géologie. Au fil des ans, le récit de cette glaciation se précise. Peu à peu, nombre des difficultés qu’il soulevait ont été élucidées. Aujourd’hui se dessinent non seulement les mécanismes qui ont conduit à l’entrée et à la sortie de cette période, mais aussi des pistes sérieuses pour résoudre une de ses plus grandes énigmes : à l’époque, les organismes les plus évolués étaient des algues filamenteuses et des organismes mobiles unicellulaires (des protozoaires). Les premiers eucaryotes – des organismes formés d’une cellule comportant un noyau, et dont sont issus tous les animaux et les plantes – sont apparus plus d’un milliard d’années plus tôt, mais la vie pluricellulaire ne s’est pas encore imposée. Or non seulement les organismes photosynthétiques ont survécu à cette glaciation extrême, mais la vie pluricellulaire a connu une extraordinaire explosion juste après. Comment ? Ce sont ces pistes que nous suivons dans le désert américain.
De la glace aux Tropiques ?
Mais d’abord, pourquoi cet engouement pour la Terre boule de neige ? Il n’est pas certain que la Terre ait subi une glaciation complète par le passé. Néanmoins, depuis une trentaine d’années, les arguments en faveur de cette hypothèse s’accumulent. L’idée est apparue une première fois en 1950. Le géologue australien Douglas Mawson montra que, sur la plupart des continents, les roches de cette époque contenaient des dépôts glaciaires – des débris et poussières caractéristiques de ceux que la glace libère en fondant. Il postula qu’une grande glaciation était survenue à la fin du Précambrien, durant l’ère néoprotérozoïque, il y a entre 1 milliard et 500 millions d’années, juste avant une explosion rapide de la vie pluricellulaire.
En 1964, un second argument vint renforcer cette idée. Le géologue Brian Harland s’était alors intéressé à l’aimantation magnétique de petits grains minéraux enchâssés dans les roches glaciaires. Ces grains, déjà magnétisés, sont supposés se déposer en s’orientant selon le champ magnétique ambiant durant leur sédimentation, puis garder cette orientation. Or la mesure de cette orientation (mesure dite paléomagnétique) a révélé que les

L'essentiel
Des sédiments glaciaires trouvés sur tous les continents suggèrent fortement que deux glaciations extrêmes ont recouvert la Terre de glace il y a entre 760 et 635 millions d’années.
La vie consistait alors principalement en organismes unicellulaires et algues filamenteuses, mais la vie pluricellulaire a explosé juste après la déglaciation.
Les glaciations ont créé une forte pression de sélection qui a stimulé le développement d’algues vertes.
L’oxygénation massive qui a débuté durant ces glaciations a sans doute aussi contribué à l’essor d’organismes complexes.
Références
P. F. Hoffman et al., Snowball Earth climate dynamics and Cryogenian geology-geobiology, Science Advances, vol. 3(11), e1600983, 2017.
Y. Hoshino et al., Cryogenian evolution
of stigmasteroid biosynthesis, Science Advances, vol. 3(9), e1700887, 2017.
J. J. Brocks et al., The rise of algae in Cryogenian oceans and the emergence of animals, Nature, vol. 548, pp. 578-581, 2017.
P. F. Hoffman, Cryoconite pans on Snowball Earth : Supraglacial oases for Cryogenian eukaryotes ?, Geobiology, vol. 14(6), pp. 531-542, 2016.
P. Sansjofre et al., Multiple sulfur isotope evidence for massive oceanic sulfate depletion in the aftermath of Snowball Earth,
Nature Communications,
vol. 7, 12192, 2016.
P. Hoffman, Quand la Terre était gelée, Pour la Science, n° 268, pp. 30-37, fév. 2000.