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D’où vient l’eau sur Terre ? Liquide, gazeuse ou solide, elle est omniprésente dans le Système solaire. L'eau est cependant beaucoup plus abondante dans les régions éloignées du Soleil. En effet, le rayonnement de l'astre central a chassé l'eau, sous forme gazeuse, du Système solaire interne. La Terre se serait donc formée à partir de poussières et de roches relativement sèches. Les chercheurs supposent qu’un intense bombardement par des astéroïdes et des comètes glacées provenant des confins du Système solaire a apporté l'eau des océans, bien après la formation de la planète. De nombreux indices étayent cette hypothèse. Pour autant, cela n’exclut pas un apport d'eau local lors de la formation des planètes proches du Soleil. Mais dans quelle proportion ? Et reste-il des traces de cette eau primitive sur Terre ? Lydia Hallis, de l’institut d’astronomie de l’université de Hawaii, et ses collègues en ont trouvé des indices dans les roches volcaniques de l’île de Baffin, dans l’archipel arctique canadien.
Comment déterminer si de l’eau est d'origine primordiale ou apportée par des comètes et des astéroïdes ? Les spécialistes étudient la composition isotopique des molécules d’eau et comparent le rapport entre le deutérium (D) et l’hydrogène (H). Le deutérium étant un atome d’hydrogène (un proton) avec un neutron en plus, les deux isotopes réagissent chimiquement de la même façon. Cependant, le deutérium établit des liaisons plus stables avec l’oxygène quand la température diminue. Ainsi, dans le Système solaire, l’eau est plus riche en deutérium à mesure que l’on s’éloigne du Soleil. Sur Terre, le rapport D/H de l’eau de mer est comparable à celui qu’on mesure dans les chondrites carbonées de la ceinture d’astéroïdes. Cela renforce l’hypothèse que l’eau terrestre vient des météorites.
Cependant, ce scénario doit être nuancé. Lydia Hallis et ses collègues soulignent que la composition de l’océan ne peut pas être considérée comme primordiale car elle a pu évoluer au cours du temps. Des bombardements par des corps riches en eau avec des rapports D/H variés à différentes époques ont pu modifier le rapport isotopique. En outre, la fuite de molécules de la haute de atmosphère vers l'espace est plus efficace pour les molécules de vapeur d’eau sans deutérium (elles sont plus légères). Ce processus sélectif conduit à une augmentation progressive du rapport D/H dans l’eau sur Terre.
L’équipe de Lydia Hallis a cherché à savoir si de l’eau pouvait être présente dans les matériaux dont a été formée la planète. Cependant, à cause du cycle de l’eau et de l’activité tectonique de la Terre, l’eau des océans et de l’atmosphère a interagi avec la croûte et la partie supérieure du manteau terrestre. Les chercheurs ont donc cherché des échantillons de roche mantellique la plus profonde possible, susceptible d'avoir interagi le moins possible avec l'extérieur. Ils ont prélevé des échantillons sur l’île de Baffin, qui s’est formée grâce au même point chaud que celui actuellement sous l’Islande. Il s’agit donc d’une remontée de roche mantellique profonde et ancienne. Pour s’en assurer, les chercheurs ont repris une analyse effectuée par une autre équipe sur le rapport hélium-3/hélium-4. Celui-ci est élevé, ce qui indique que la roche a une composition primordiale et a peu interagi avec le manteau supérieur et la surface. Le rapport D/H de ces échantillons est inférieur à celui des océans d’environ 22 %, ce qui est bien inférieur à celui qu’on observe dans les comètes et les astéroïdes. Conclusion : cette eau proviendrait bien des matériaux qui ont participé à la formation de la planète. Dans la nébuleuse protosolaire, l’eau se serait fixée sur les grains de poussière par adsorption.
Il est encore difficile d’estimer l’apport d’eau dans ce scénario, surtout qu’une partie de celle-ci aurait été perdue alors que la Terre était recouverte d’un océan de magma. Le scénario des astéroïdes et des comètes n’a pas non plus dit son dernier mot. Pour certains spécialistes, ces corps d’auraient pas seulement apporté l’eau mais aussi d’autres éléments, tel le carbone, l’azote et des gaz rares. L’apport des comètes et d’astéroïdes sur la Terre serait donc incontournable.
La réalité est probablement plus complexe, et tous les mécanismes ont pu contribuer en partie à l’eau de la Terre. Mais si le scénario de Lydia Hallis indique une part d'eau primordiale non négligeable, ce mécanisme général – et moins fortuit qu’un bombardement de météorites – impliquerait que l’eau pourrait être assez fréquente sur les exoplanètes telluriques.
