Archéologie

L'origine de certaines des plus vieilles pierres de Stonehenge identifiée

La carrière dont sont issues certaines des plus anciennes pierres composant le monument mégalithique de Stonehenge, des « rhyolithe à motifs de tissu », a été identifié dans les collines de Preseli, au Pays de Galles.

Pour ne rien manquer de Pour La Science, inscrivez-vous à nos newsletters (gratuites)

Des générations d’archéologues ont travaillé dur pour reconstituer petit à petit l’histoire complexe du monument mégalithique de Stonehenge. Dernière avancée en date, Mike Parker Pearson de l’Université de Londres et son équipe viennent de montrer que certaines des plus vieilles pierres de Stonhenge, des « rhyolithe à motifs de tissu », proviennent d'un affleurement situé à Craig Rhos-y-felin, au Pays de Galles.

Stonehenge est situé dans la plaine de Salisbury, dans le Comté de Wiltshire en Angleterre. Selon l’interprétation la plus répandue, il s’agirait de l’un des nombreux sanctuaires doublés d’un observatoire astronomique aménagés par les paysans pendant le Néolithique occidental (4000 à 2500 avant notre ère dans les îles Britanniques). Vers 2800 avant notre ère, une première enceinte grossièrement circulaire est délimitée par un petit talus doublé d’un fossé. Ensuite, les réaménagements se succèdent. Vers 2600 avant notre ère, un double cercle de 80 « pierres bleues » est érigé. Ensuite, vers 2000, pendant l’Âge de bronze britannique, cette structure est démantelée et remplacée par le cercle de « pierres de sarsen » que nous connaissons, assemblées en piliers et linteaux, dans lequel des « pierres bleues » sont réutilisées pour former un cercle intérieur.

Le terme « sarsen » semble être une forme médiévale de « sarrasin », ce qui suggère que les pierres de sarsen sont d'origine païennes,... comme les Sarrazins. Leur origine est connue : il s'agit de grès silicifiés extraits de bancs situés à une trentaine de kilomètres de Stonehenge.

Plus étonnante est l’origine des 43 mégalithes en pierre bleue constituant le monument actuel de Stonehenge. Parmi elles, 30 sont en dolérite (une roche magmatique issue d’une dorsale océanique), le plus souvent tachetée, et les autres en rhyolite (une roche magmatique proche du granit). On sait depuis les travaux menés dans les années 1920 par le géologue Herbert Henry Thomas, que ces pierres bleues proviennent des collines de Preseli, au Pays de Galles, à plus de 240 kilomètres de Stonehenge ! Mais on ignorait de quelle carrière exactement. 

En 2014, l'origine précise des dolérites de Stonehenge a été identifée : elles proviennent d'affleurements situés sur le versant nord des collines de Preseli, dont le principal est Carn Goedog.

L’équipe de Mike Parker Pearson, vient pour sa part d'identifier la carrière dont sont issues une partie des pierres bleues rhyolitiques de Stonehenge, la « rhyolithe à motifs de tissu » (rhyolithe with fabric) : il s'agit un affleurement rocheux situé à Craig Rhos-y-felin, dans la vallée du hameau de Brynberian.

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont d’abord rassemblé environ 1200 éclats de « rhyolithe à motifs de tissu » provenant de multiples endroits du site de Stonehenge. Parmi eux figurent des fosses creusées au Néolithique, si bien que l’on est certain que de la pierre bleue rhyolithique est arrivée à Stonehenge avant l’Âge du bronze et a été employée lors de la première réfection du site en pierre. Après avoir étudié de près les caractéristiques des « motifs de tissu » de cette rhyolithe, les chercheurs sont partis à sa recherche dans le massif de Preseli, et, à Craig Rhos-y-felin, ils ont identifié un affleurement dont les roches présentaient tous les traits recherchés.

La fouille du sol entourant cet affleurement a confirmé qu’il a servi de carrière de rhyolite au Néolithique et à l’Âge de bronze. Outre les éclats de pierres épars laissés par les carriers, les chercheurs ont trouvé quelques lames de rhyolite et une lame de silex d’époque néolithique ainsi que de nombreux restes de foyers. Six mégalithes tout juste débités ont aussi été abandonnés sur place, sans doute à cause de leurs imperfections. L’un d’entre eux, long de 4 mètres, couché sur un remblai aménagé à l’aide de cailloux et de sédiments, a sans doute vu sa base se briser au moment où il a été détaché de l’affleurement.

En fouillant ce remblai, les chercheurs ont découvert deux fragments de bois de noisetier carbonisés, qui dateraient de 2000 ans avant notre ère. Toutefois, des traces d’activités humaines du Mésolithique (les derniers chasseurs-cueilleurs) jusqu'à l’Âge de fer parsement le site ; c'est pourquoi, dans l’ensemble, ces activités ne peuvent être datées plus précisément qu’entre 4000 et 2000 avant notre ère, période pendant laquelle des carriers néolithiques puis de l’Âge du bronze ont probablement été assez actifs sur le site.

Comme les roches de l’affleurement tendent naturellement à prendre la forme de piliers, elles se prêtent bien au débitage de mégalithes. Selon les chercheurs, les carriers néolithiques repéraient ou ménageaient des fentes à la base des piliers, où ils enfonçaient des coins de bois pour détacher le bloc par sa base.

Les mégalithes de Craig Rhos-y-felin ont probablement été débités des siècles avant d’atteindre Stonehenge. En effet, elles y ont sans doute été transportées à pied, en plusieurs phases. Selon Mike Parker Pearson, les mégalithes ont pu être déplacés après avoir été placés sur une sorte de litière rectangulaire conçue pour être soulevée à l’aide de nombreuses perches. Chaque individu d’une équipe de 60 personnes portant de cette façon un mégalithe de deux tonnes n'aurait à supporter qu'un poids de 30 à 50 kilogrammes. Cette façon de s’y prendre épargnait au monolithe les chocs qui auraient pu l’abimer, tandis qu’elle transformait en évènement social spectaculaire le transport d’une pierre sacrée à travers le territoire de chaque communauté paysanne.

Ainsi, on peut imaginer que le lent transport vers Stonehenge de lourdes pierres a constitué une tradition séculaire. Chaque pierre sacrée aurait été passée d’une communauté paysanne à l’autre, et ce pendant assez de générations pour couvrir les 240 kilomètres qui séparent Craig Rhos-y-felin de Stonehenge. Une activité d'autant plus plausible que ces mêmes communauté paysannes ont construit pour leurs élites des centaines de tumuli dans lesquels étaient parfois intégrées des pierres bleues. On peut aussi imaginer qu’au cours des siècles, plusieurs sanctuaires auraient été déplacés pour être fusionnés dans le super sanctuaire de Stonehenge.

Ainsi, loin d'être anodin, le travail de titan accompli par les paysans britanniques du Néolithique et de l’Âge du bronze pour construire des monuments mégalithiques reflèterait des évolutions culturelles et politiques de grande échelle.

 

francois-savatier
François Savatier

François Savatier est rédacteur spécialisé en archéologie et paléontologie à Pour la Science. Il a coécrit avec la paléoanthropologue Silvana Condemi Néandertal mon frère (Flammarion, 2015), Dernières nouvelles de Sapiens (Flammarion, 2021) et L’énigme Denisova (Albin Michel, 2024).

Voir tous ses articles
Références

Mike Parker Pearson, et al., Craig Rhos-y-felin : a welsh bluestone megalith quarry for stonehenge, Antiquity, vol. 89, pp. 1131-1352, 2015.

Sur le même sujet

Numéros sur le même sujet

Thèmes

Retour en haut de page

En kiosque actuellement

Soutenez l'information scientifique ! À partir de 5,50€ par mois > Je m'abonne