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Nature & environnement

Surtsey, l'enfance d'une île

De la première graine déposée par les flots à l’explosion de la vie vingt ans plus tard, aucun épisode de la courte histoire de l’île islandaise née d'un volcan n’a échappé aux scientifiques.

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Naissance de Surtsey

Vue aérienne d'une des éruptions volcaniques qui ont donné naissance à l'île de Surtsey, au sud de l'Islande.

Surtsey Research Society

ARCHIPEL. Au commencement, il n’y avait que l’océan Atlantique. Puis soudain, un frémissement, une ébullition, et voici qu’une île surgit des flots. C’est ainsi que pourrait commencer le roman de Surtsey, petit bloc de téphras et de lave posté à une trentaine de kilomètres de la côte islandaise. La première page de cette histoire s’écrit le 14 novembre 1963 au petit matin, lorsque des pêcheurs aperçoivent une colonne de vapeur qui s’élève à 10 kilomètres dans le ciel. En quelques heures, la mer s’ouvre et crache cendres et scories. Une éruption sous-marine ! Rien de surprenant dans cette région coutumière du phénomène, dont le système est alimenté par l’interaction entre la dorsale médio-atlantique et un point chaud, c’est-à-dire une remontée profonde du manteau magmatique. Ainsi sont apparues les dix-huit îles islandaises de l’archipel des Vestmann, dont Surtsey est la dernière-née.

Le géant du feu de la mythologie nordique

L’île émerge dès le 15 novembre ; elle va croître ensuite au milieu des eaux bouillonnantes, prenant en deux mois la forme de deux croissants longs de 1500 mètres. Jusqu’en juin 1967, Surtsey – qui porte le nom du géant du feu de la mythologie nordique – grandit à coups d’éruptions explosives ou effusives. A la fin de ce premier chapitre, elle atteint la taille de 2,65 kilomètres carrés et s’élève à 175 mètres au-dessus de la mer. De mémoire d’homme, l’éruption est la plus longue jamais vue en Islande. A peine Surtsey a-t-elle émergé que des scientifiques islandais y posent déjà le pied. Cette première rencontre, en décembre 1963, scellera son destin. Quelques mois plus tard, l’île et sa zone maritime sont déclarées "zone interdite " : Surtsey offre en effet une opportunité unique d’étudier la colonisation d’une terre stérile. Elle ne sera plus visitée qu’à des fins scientifiques.

Naissance de l'île de Surtsey

Panache de cendres s'élevant lors de l'éruption qui donna naissance à Surtsey. (Surtsey Research Society)

Les chercheurs guettent dès lors l’arrivée du premier végétal. Très vite, ils repèrent des graines et des plantes abandonnées par les vagues. Enfin, au printemps 1965, ils découvrent à l’orée de la plage un tout jeune plant aux feuilles découpées. Ce pionnier est une roquette de mer (Cakile arctica). Rapidement, suivront les pourpiers de mer (Honckenia peploides), les seigles de mer (Leymus arenarius) et les plantes huîtres (Mertensia maritima). Les graines de ces espèces flottent aisément et résistent bien à l’eau salée, ce qui explique qu’elles aient pu voyager depuis l’île la plus proche, Heimaey, à 18 kilomètres de là.

 Un sol au goût de pain sec

C’est le début de la première phase d’installation de la vie. Un épisode qui va durer dix ans. Les plantes poussées par les flots s’installent autour des plages de galets et de sable noir, sur les rives du Nord. Les bois flottés qui viennent s’y échouer constituent autant de radeaux pour les graines et les invertébrés. Dans le même temps, les vents qui soufflent sur ces jeunes reliefs y déposent les graines légères des lion-dents d’automne (Leontodon autumnalis) aux délicates fleurs jaunes, les spores des mousses, lichens et champignons, ainsi que les premiers moucherons. C’est par la voie d’Eole, également, qu’arrive la famille des saules nains, qui composent bientôt une forêt au ras du sol. Une décennie après la naissance de l’île, dix espèces de plantes vasculaires se sont établies. Héroïques, car le sol de Surtsey, excessivement pauvre en azote, doit avoir un goût de pain sec… Peu de nourriture, des hivers durs, des tempêtes violentes : l’épreuve est trop difficile pour les insectes et autres invertébrés, qui ont du mal à survivre sur l’île. 170 espèces ont tenté l’aventure de la colonisation, mais une poignée seulement a réussi à s’installer durablement durant cette période. De 1975 à 1984, les nouvelles espèces de plantes qui arrivent sur l’île se heurtent aux mêmes obstacles. C’est une période de stagnation. Sans nouvelle concurrence, les premières espèces en profitent pour se propager et établir de véritables communautés. Une géographie végétale se dessine.

Les oiseaux seront les héros de la décennie suivante (1986-1995). Jusque-là, l’île avait surtout servi de gîte d’étape aux migrateurs (pétrels, guillemots) qui se reposaient sur les hautes falaises du Sud. Le tout premier nid avait certes été édifié en 1970, mais ce n’est qu’à partir de 1986 que les chercheurs repèrent des signes d’installation pérenne. Timidement d’abord, avec seulement dix nids construits dans les plaines de lave intérieures par le goéland brun (Larus fuscus) et le goéland argenté (Larus argentatus). Cependant, quatre ans plus tard, on en recense 180 – le goéland marin s’étant joint à ses cousins !

 Les excréments des oiseaux, l’or de Surtsey

 A partir de là, la colonisation verte démarre pour de bon. D’abord parce que les oiseaux rejettent dans leurs fientes les graines de fruits qu’ils ont pu ingérer sur d’autres îles ; ensuite parce qu’à leurs pattes, ils transportent les spores de lichens et dans leur plumage des invertébrés ; enfin parce qu’ils importent des branchages pour fabriquer leurs nids. Ce rôle a été mis en évidence sur Surtsey dès 1969, lorsque des chercheurs ont découvert des graines intactes dans les déjections de bruants des neiges. Les déjections, les excréments… Le voilà, le véritable or de Surtsey, puisqu’il apporte l’azote, élément essentiel à la vie végétale. Soudain verdoyantes, les colonies d’oiseaux sont rapidement investies par de nouveaux colonisateurs : les insectes.

CHARANÇON. Et, en 1993, les scientifiques découvrent les premiers vers de terre, signe que le sol de l’île est devenu comestible. La vie va dès lors exploser sur Surtsey. Au milieu des années 2000, 60 espèces de plantes vasculaires, 75 bryophytes (des mousses), 71 lichens et 24 champignons s’y sont installés. On recense désormais 335 espèces d’invertébrés, dont un charançon extrêmement rare (Ceutorhynchus insularis). Signalons qu’en dépit de toutes les précautions, au moins deux espèces d’insectes – un scarabée (Lathridius minutus) et la mouche du vinaigre (Drosophila funebris) – ont été importées par les scientifiques eux-mêmes… Ces sources de nourriture attirent de nouvelles populations d’oiseaux terrestres.

 Le temps des brouteurs

Les premiers vertébrés brouteurs – les oies cendrées – rejoignent à leur tour ce "nouveau monde". Au total, sur les 89 espèces d’oiseaux qui ont visité Surtsey, une douzaine y nichent désormais. C’est le temps de la colonisation secondaire. Les scientifiques estiment que la vie va encore se diversifier sur Surtsey pendant une cinquantaine d’années. Puis cet écosystème connaîtra une pause, voire une dégradation, liée à l’érosion prévisible de l’île. La structure géologique de Surtsey se révèle en effet très fragile, et ses terrains meubles. Dès les premiers hivers, les vagues violentes ont transformé les pentes douces du Sud en falaise abrupte. Chaque année, l’île perd un hectare en moyenne. La moitié de sa superficie a déjà été engloutie par les flots ; elle devrait perdre encore deux tiers de sa surface d’ici à 2120. L’érosion aura alors mis à nu son coeur de palagonite, une roche volcanique vitreuse, qui résistera ensuite fièrement aux vagues pendant des milliers d’années.

Pour en savoir plus : le rapport de la Surtsey Research Society, l’organisme de recherche islandais

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